Comment une entreprise disruptive peut échouer avant de rebondir?
Tout le monde connait des exemples d’entreprises qui furent des leaders sur leurs marchés suite à l’introduction d’une innovation disruptive et qui quelques années plus tard ont du mettre la clé sous la porte ou luttent pour leur survie.
Mais pourquoi une entreprise disruptive peut-elle échouer sur la durée?
- Mauvaises décisions pour surmonter les obstacles de la concurrence ou du marché (ex: Kodak). Car plus les entreprises connaissent le succès, plus elles ont du mal à sortir de leur zone de confort (comme les hommes 🙂 ).
- Nouvelle technologie disruptive qui fait passer votre ancienne innovation comme démodée ou plus adaptée (ex: les applications GPS intégrés aux smartphones ou voitures, qui ont affecté les producteurs de GPS dont les produits étaient encore les best seller de Noel il y a moins de 10 ans.)
- Bureaucratie interne qui empêche aux entreprises de réagir rapidement malgré les bonnes décisions/orientations prises par la direction et qui conduisent ces dernières à perdre des parts de marché vis à vis de la concurrence.
Il existe bien d’autres raisons, mais laissez moi vous raconter un cas réel dont j’ai été témoin au cours de ma carrière professionnelle. Il s’agit du groupe COTECNA présent dans 25 pays à travers le monde est dont le siège est à Genève. J’y ai travaillé pendant 5 ans 1/2. Voici leur histoire:
COTECNA Phase 1 : l’exploration ou adresser un nouveau marché
Cotecna a été pendant 3 décennies de 1980 à 2010 le leader mondial de solutions de supervision des importations douanières dans les marchés émergents (Afrique – Amérique Latine principalement) afin d’aider les douanes locales à simplifier leurs procédures, à optimiser leurs recettes douanières et à lutter contre la fraude (fiscale, drogue,…).
Sur cette niche, Cotecna avait une plus grande part de marché que d’autres concurrents plus connus comme SGS ou Bureau Veritas.
Ils avaient été les premiers au début des années 80, à tirer profit de la pression que le FMI et la Banque Mondiale imposaient aux pays émergents afin de mieux contrôler leurs recettes fiscales, condition sinequanone au bon remboursement de leurs dettes envers ces organisations financières.
Il faut comprendre que dans la plupart des pays émergents à l’époque, les recettes douanières étaient la principale rentrée fiscale du pays après les exportations de matières premières. Loin devant les impôts sur le revenu ou sur les bénéfices des entreprises.
C’est pourquoi ces pays émergents étaient dans l’obligation d’utiliser les services de fournisseurs externes leur permettant d’optimiser leurs recettes douanières en luttant contre la fraude fiscale (ex: déclarer un produit importé à une valeur inférieure à sa valeur de marché) et la corruption.
COTECNA Phase 2 : Innovation disruptive ou la transformation du marché
Après deux décennies à superviser les tâches classiques d’importations à la place des douanes locales, Cotecna disrupta le marché à la fin des années 90 avec la mise en place de gros scanner à container pour les ports couplé à un système d’analyse du risque.
Sur le même principe des scanners d’aéroports, les containers arrivés par bateau pouvaient être désormais scannés au hasard ou selon une analyse pertinente du risque (historique de l’importateur, du produit ou du lieu de provenance).
Cela a été une innovation déterminante pour les douanes dans leur lutte contre la fraude et la contrebande.
C’était un business model très rentable qui a vite été copié par tous les concurrents du secteur (SGS, Bureau Veritas, Intertek…).
COTECNA Phase 3 : l’exploitation ou le début des problèmes
Une fois ce nouveau marché devenu mature, Cotecna s’est confronté au problème mentionné par Clayton Christensen dans son livre “le dilemme de l’innovateur”. Ces valeurs avaient évoluées et la sécurité et le rendement avaient pris le pas sur l’innovation.
C’est ainsi que le Groupe investit dans des systèmes informatique de gestion digne de leur nouveau statut.
Ils mirent en place un ERP global dans toutes leurs filiales à travers le monde et un vrai logiciel de consolidation, reporting et planning afin mieux suivre les coûts et la rentabilité par activité/filiale.
Tout nouvel investissement était désormais examiné minutieusement à travers une analyse pertinente du département FP&A (Financial Planning and Analysis) avec calcul:
- du délai de recouvrement de l’investissement (Payback period)
- de la Valeur Actuelle Nette (VAN ou NPV)
- du Retour sur Investissement (ROI)
- du Retour sur Capitaux Employés (ROCE)
Cette démarche n’était pas en soi un problème, car elle permet de mieux mesurer son risque et d’éviter les mauvaises surprises.
L’erreur aura été de comparer la rentabilité de tout nouveau projet à celle insolente que dégageait son business model traditionnel. C’est ainsi que la majorité des gros investissements examinés à l’époque ont été recalés.
Cotecna avait perdu son état d’esprit innovateur et son appétence au risque, en particulier suite au retrait du fondateur historique qui avait l’habitude de se fier avant tout à son intuition.
Pour définir de nouvelles orientations stratégiques avant la crise qui couvait, ils ont fait appel au fameux cabinet de conseil BCG et même organisé des séminaires managériaux pour trouver de nouvelles idées, mais toutes ont été écartées au final.
COTECNA Phase 4 : La Crise ou plans de restructurations successifs
Au milieu des années 2000, une nouvelle tendance s’affirma sur le marché, les douanes ne souhaitaient plus externaliser le coeur de leur métier à des sociétés externes. La pression du FMI et de la Banque Mondiale devint moins forte aussi.
Ce phénomène démarra pour Cotecna avec la perte de leurs principaux contrats en Amérique Latine de 2007 à 2010.
Ce signal d’alarme aurait du incité Cotecna à investir leurs importantes ressources financières de l’époque dans l’acquisition de nouvelles sociétés, pour se diversifier et prévenir la crise qui couvait.
Mais aucun investissement envisagé n’étant aussi rentable que leur business model actuel, la direction et les actionnaires de l’époque se focalisèrent sur l’exploitation de leurs bénéfices à court terme.
Puis à partir 2010 la crise s’amplifia avec la perte des principaux contrats en Afrique, leur pré carré, ce qui entraina une baisse de 50% des revenus du Groupe entre 2010 et 2014.
S’ensuivirent plusieurs plans de restructurations officiels ou officieux jusqu’à ce que les actionnaires historiques ouvrent le capital de la société à de nouveaux investisseurs.
COTECNA Phase 5 : La Renaissance ou comment rattraper le temps perdu
Fin 2015, une nouvelle direction et de nouveaux actionnaires prirent le contrôle progressif de l’entreprise.
En parallèle malgré la crise, l’entreprise avait réussi à garder en grande majorité ses meilleurs éléments. Car le droit du travail étant plus souple en Suisse, il n’y a pas d’effet d’aubaine comme en France en cas de plans de restructurations.
Ce qui manquait à l’entreprise était une nouvelle vision stratégique qui fut apporté par les nouveaux actionnaires et leurs nouveaux relais dans l’entreprise.
Le groupe prospecte désormais depuis 2016, pour acquérir de nouvelles entreprises dans des secteurs qu’il avait ignorés par le passé (sociétés d’inspection et d’analyse dans les matières premières agricoles). Achat d’entreprises, en Roumanie, Pays Bas et Inde dernièrement.
L’avenir semble meilleur, mais le temps perdu ne sera jamais récupéré. Un chiffre illustre ce constat.
En 2008 Cotecna avec 250MCHF de chiffre d’affaires était 10% plus petit que la SGS. Dix ans plus tard ce ratio est passé à 3%, mais c’est un progrès par rapport à il y a 3 ans où le ratio était tombé à 2%.
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